Pour un big bang patronal
Représentativité patronale et compétitivité de l’économie française
La désindustrialisation et la perte de compétitivité de notre industrie nationale posent avec une acuité nouvelle la question de la représentativité patronale : pourquoi, depuis 30 ans, les organisations patronales, et au premier chef le MEDEF, ne portent-elles pas au pays des ingénieurs une vision ambitieuse de l’économie française, fondée sur une industrie prospère ?
Comme le souligne pourtant le rapport Gallois, la présence d’un tissu industriel solide permet aux nations de mieux surmonter la crise, de mieux s’en protéger. L’Allemagne en particulier résiste mieux à l’affaiblissement économique parce qu’elle a su préserver une activité industrielle importante en s’écartant d’un modèle centré sur l’industrie financière comme la France ou la Grande-Bretagne.
De façon symptomatique, l’industrie a perdu sa prééminence au sein du MEDEF, en devenant depuis quelques années un acteur minoritaire de l’association patronale interprofessionnelle, au profit des secteurs financiers et plus largement des services, qui sont devenus majoritaires. Cette évolution très symbolique témoigne de la relative indifférence des syndicats patronaux interprofessionnels, vis-à-vis des enjeux sectoriels, de la désindustrialisation et de la dégradation globale des termes de notre compétitivité. Leur approche de la stratégie économique globale du pays reste très marquée par des considérations théoriques orthodoxes, parfois éloignées des particularismes français et des besoins des entreprises, sans vision sur les questions de dépendance et de sécurité technologique, énergétique ou alimentaire.
De ce point de vue, une rapide comparaison internationale entre les thématiques dominantes illustre bien les limites de l’exercice patronal français. Pour prendre un seul exemple, le MEDEF, sur son site Internet, n’a jamais abordé la question de la désindustrialisation du pays, et se préoccupe peu d’industrie, soulignant sa faiblesse en matière de prospective. Dans le même temps, l’Allemagne, comme les États-Unis d’ailleurs, ont fait le choix de préserver une très forte visibilité et une très forte influence de l’industrie dans la structuration même du monde patronal.
En Allemagne, le rôle social dévolu à la BDI montre bien le caractère déterminant joué par l’épine dorsale qu’est l’industrie dans la conception et l’évolution du droit du travail. Aux États-Unis, la National Association of Manufacturers constitue le fer de lance d’une action patronale qui s’illustre notamment par le «Manufacturing renaissance», sorte de manifeste patronal pour la réindustrialisation américaine, dont les organisations patronales interprofessionnelles françaises pourraient s’inspirer.
S’il n’est pas question ici d’expliquer le déclin économique français par le seul positionnement de nos organisations patronales, en revanche, le détachement de celles-ci pour la cause générale de notre industrie est symptomatique des risques auxquels les entreprises françaises s’exposent en ne réformant pas fondamentalement les règles de la représentativité de ces organisations. Celles-ci semblent absorbées par des considérations extérieures aux enjeux sectoriels forts de notre pays.
La France semble en fait handicapée par deux éléments qui déterminent ses structures patronales : d’abord, l’invention de la négociation interprofessionnelle, qui a l’ambition de poser des normes identiques pour des secteurs économiques différents, ensuite son opacité sur les règles du jeu applicables au monde patronal.
L’opacité patronale aujourd’hui
Alors que les organisations syndicales de salariés ont fait l’objet d’une réforme majeure mais insuffisante, avec la loi du 20 août 2008 sur la représentativité, les organisations patronales demeurent dans un univers de non-droit dont les limites apparaissent clairement.
D’une part, les conditions dans lesquelles leur représentativité est reconnue procède encore largement d’un acte de gouvernement. Cette technique de désignation ne correspond plus aux besoins d’une vie démocratique normale. La reconnaissance de représentativité ne peut résulter d’une décision politique, mais procède d’abord de l’adhésion des entreprises ou des fédérations à une organisation.
La dépendance des organisations patronales vis-à-vis du pouvoir politique en matière de représentativité crée une situation malsaine où l’Etat apparaît comme arbitre des relations sociales. Dans la mesure où l’autorité et la capacité juridique, notamment en matière de négociation, des syndicats patronaux dépend d’une décision administrative, le jeu de la négociation et du dialogue social est faussé. Il fait de l’Etat le décideur en dernier ressort, l’organisateur et l’animateur d’une relation qui devrait être bi-partite et ne lier que les employeurs et les salariés.
Cette dépendance forte, et quasi-principielle, des organisations patronales vis-à-vis de l’Etat se situe aux antipodes des pratiques en vigueur dans les autres pays industrialisés. En Allemagne notamment, la neutralité de l’Etat dans le dialogue social est un principe quasi-constitutionnel qui exclut toute action extérieure aux partenaires sociaux dans les négociations. Cette neutralité emporte des conséquences utiles pour le dialogue social : sincérité des acteurs, responsabilité et obligation de résultat. Grâce à ce dispositif, l’Allemagne adapte régulièrement son tissu économique aux exigences de la concurrence pour assurer sa prospérité.
Si la particularité française touchant aux liens forts entre monde patronal et Etat s’explique par l’histoire (notamment lors de la création du CNPF en 1945), cet enfermement dans une tradition héritée de la Libération pose des problèmes structurels majeurs. En effet, les organisations patronales représentatives remplissent une fonction première de gestion d’un système paritaire désuet, dont elles tirent une part importante de leurs ressources financières. Cette face cachée de la vie patronale constitue un frein important aux réformes de structure en France, notamment pour tout ce qui touche à la protection sociale.
Une clarification des règles de représentativité et de financement des organisations patronales apparaissent donc comme des éléments majeurs pour faciliter l’adaptation de l’économie française aux défis nouveaux.
La pertinence de la négociation interprofessionnelle
Cette question a pris une acuité particulière depuis l’adoption de l’article 1 du Code du Travail, qui prévoit une saisine des partenaires sociaux au niveau interprofessionnel avant toute modification de la législation du travail. De ce fait, non seulement les partenaires sociaux sont devenus des producteurs de norme juridique, mais la loi a prévu une sorte de transfert auprès d’eux des compétences de niveau législatif. En quelque sorte, les partenaires sociaux sont devenus les supplétifs du législateur dans le domaine du droit du travail.
Cette évolution pose la question de la nécessaire et incontestable représentativité de ceux qui négocie au nom de tiers qui ne sont pas leurs adhérents et ne répond qu’imparfaitement aux nécessités économiques. Si le principe d’une préparation des textes législatifs par les partenaires sociaux est positif, dans la mesure où il associe les forces vives du pays à l’élaboration des normes qui les concernent, en revanche, il laisse entier le problème de l’excès de réglementation dont plus aucun chef d’entreprise ne peut garantir la maîtrise. Cet excès s’explique notamment par une méfiance constante vis-à-vis de la liberté contractuelle des partenaires, et par la volonté de centraliser loin de l’entreprise la définition des «règles du jeu» et le contrôle de leur évolution.
Nos voisins industrialisés ont généralement fait des choix radicalement contraires, en privilégiant la définition des normes au plus près de leurs utilisateurs, c’est-à-dire les entreprises ou les branches. Cette solution a l’avantage d’éviter une complexité immaîtrisable des dispositifs juridiques, facteur de rigidité dans l’organisation des entreprises.
Dans tous les cas, l’ambition de doter la France d’un seul dispositif juridique, dans la lignée de la loi du 11 février 1950, correspond à une vision dépassée de l’économie. Une mesure salutaire consisterait donc à repenser l’articulation des niveaux de négociation, afin de limiter au maximum l’intervention du niveau interprofessionnel, et de favoriser l’émergence des négociations d’entreprise, ou à défaut de branche.
Réformer la représentativité patronale en cohérence avec une stratégie économique d’ensemble
Les propositions de réforme de la représentativité présentées ici visent donc à :
- s’intégrer dans une logique de reconstruction industrielle et d’innovation globale
- répondre aux enjeux actuels du dialogue social et du marché du travail
- développer la représentativité effective des organisations patronales
Un principe simple : la définition des critères de représentativité patronale interprofessionnelle
En remplacement du vide juridique actuel, la loi doit poser des principes simples et évidents en matière de représentativité patronale interprofessionnelle. Celle-ci doit se définir autour de 4 critères :
- une existence de deux ans au moins de l’organisation concernée,
- une indépendance politique et financière. Cette dernière notion s’entend notamment au regard de l’origine des ressources, qui doivent exclure tout financement public ou paritaire (cf. Chapitre sur ce sujet)
- une libre adhésion de ses membres, qu’il s’agisse d’entreprises ou de fédérations
- une appartenance de ses membres à au moins deux branches professionnelles
Les organisations qui remplissent ces conditions doivent avoir la faculté de négocier des accords interprofessionnels tels que définis ci-dessous.
Réformer la loi du 11 février 1950 et le principe de la négociation interprofessionnelle
La représentativité patronale ne peut s’entendre sans une conception globale du dialogue social. Tant que la définition des normes juridiques applicables aux relations professionnelles demeurera centralisée, l’économie française tardera à procéder aux adaptations nécessaires pour retrouver l’agilité et la réactivité nécessaires pour asseoir une compétitivité forte.
La transposition de ce principe passe par trois étapes :
- une réforme en profondeur de la loi du 11 février 1950 qui définit le primat de la convention collective et la supériorité de la norme légale. Le principe de la centralité de l’accord d‘entreprise doit être posé. La norme juridique doit être définie au plus près du salarié. Par défaut, cette norme peut être négociée au niveau d’une branche, et si celle-ci ne dispose pas des représentants nécessaires pour conclure des accords, à défaut, et à défaut seulement, l’accord interprofessionnel s’applique.
Pour faciliter la conclusion d’accords dans les entreprises dépourvues de représentants du personnel, le mandatement est généralisé. En cas d’incertitudes, les négociateurs de branche peuvent se saisir d’un accord d’entreprise contraire à la réglementation européenne.
D’une manière générale, est donc posé le principe de subsidiarité des accords interprofessionnels.
- une limitation du contenu des accords interprofessionnels, qui ne peuvent imposer de dispositions contraignantes aux entreprises ou aux branches, sauf par défaut lorsque celles-ci ne sont pas couvertes par des accords obligatoires. En contrepartie, le champ des accords obligatoires est étendu, notamment à la protection sociale complémentaire.
- une réforme de la mécanique d’extension des accords obligatoires, par l’instauration d’un principe de libre choix des entreprises vis-à-vis des textes interprofessionnels. Ce principe permet à une entreprise d’opter pour l’application d’un texte négocié par une organisation représentative, sous réserve qu’un accord d’entreprise le permette, ou à défaut un accord de branche.
De cette façon, une entreprise pourra opter, dans des conditions encadrées par la loi, pour l’une ou l’autre référence conventionnelle correspondant à son choix ou à son adhésion à une association interprofessionnelle, sauf pour ce qui concerne les dispositions considérées comme obligatoires par un accord de branche dans trois domaines : la durée du travail, la rémunération et la contribution à la formation professionnelle.
Pour ce qui concerne la durée légale du travail, un accord de branche pourra définir les minima/maxima qui, s’ils sont différents des règles communautaires, un accord d’entreprise ne pourra franchir. Il appartiendra en outre aux branches de fixer la rémunération minimale annuelle incombant aux entreprises du secteur.
L’extension n’interviendra que pour les entreprises n’ayant pas opté pour une référence conventionnelle spécifique. Il appartiendra au gouvernement de choisir d’étendre le texte qui lui semble le mieux adapté aux problématiques qu’il soulève.
Réformer le financement des organisations patronales
Dans la suite logique de la loi du 20 août 2008, et surtout de la Position Commune du 9 avril 2008, qui avait prévu des réformes en profondeur dans le monde de financement des organisations patronales, celui-ci doit désormais répondre à un principe simple : les organisations patronales ne peuvent être financées que par leurs cotisations, et éventuellement par le produit des services qu’elles offrent à leurs adhérents.
Autrement dit, les subventions paritaires seront interdites au niveau interprofessionnel.
Au niveau professionnel, les branches qui auront conclu à l’unanimité des partenaires représentatifs un accord de financement par la formation professionnelle pourront bénéficier de ces recettes, dans la limite d’un tiers de leur budget total.
Séparer représentation économique et représentation sociale
La confusion artificielle entretenue entre les fonctions de représentation économique nationale du MEDEF ou de la CGPME et leur rôle social ne peut plus résister aux exigences d’évolution et d’adaptation des entreprises à leur environnement pour renforcer leur compétitivité. Le moment paraît donc opportun pour limiter la fonction du MEDEF à un rôle majeur d’influence économique en matière de mesure et d’analyse des besoins des entreprises et sur le plan de la prospective, sans lui conférer de présomption de représentativité dans le domaine social.
Compte tenu de l’évolution des règles préconisée ci-dessus, il ne sera donc pas interdit au MEDEF de mener pour son propre compte des négociations interprofessionnelles. Simplement, celles-ci seront une parmi d’autres et n’emporteront aucune obligation pour les entreprises couvertes par un accord d’entreprise ou de branche.
Le principe du droit d’option entre les accords interprofessionnels permettra de centrer la définition du droit du travail sur les branches et les entreprises.
Remettre à plat l’organisation du MEDEF
Compte tenu de ces évolutions majeures, le périmètre actuel du MEDEF doit être revu.
La suppression des subventions issues du paritarisme oblige à réduire le budget du MEDEF de 30% environ.
Dans ce contexte de réduction des moyens et des missions, le recentrage du MEDEF sur un effectif de 50 salariés environ est possible, avec une refonte complète de son dispositif de communication.
Ce reformatage doit intervenir dans les six premiers mois de la nouvelle présidence de l’association.